Divers sur le Moyen-Age
L'idée fausse des terreurs de l'an 1000 est née à la fin du XVe siècle chez les humanistes, qui en ont fait le symbole de l'obscurantisme médiéval. Pourtant, les auteurs de l'époque n'ont pas eu cette vision catastrophique des événements qui ont marqué le millénaire de l'incarnation du Christ, et plus encore le millénaire de sa passion (1030-1033).
Une inquiétude relative
Certains textes, certains faits attestent de l'existence d'une inquiétude, d'une attente de la part des chrétiens : attente de la fin du monde, du jugement dernier, pour lequel il convient de se préparer ; mais en aucun cas il n'y eut épouvante ou terreur. Le millénaire du Christ a été marqué par une abondance de prodiges et de faits surnaturels ; annalistes et chroniqueurs ont relevé avec soin et cherché à interpréter ces signes d'un désordre du monde : comète de 1014, éclipse de soleil de 1033, épidémies et famines. À ces signes matériels il faut ajouter ceux qui manifestent le trouble de l'Église : tares du clergé, inquiétude des âmes qui donne naissance aux hérésies ; signe majeur enfin, la destruction du Saint Sépulcre de Jérusalem sur les ordres du sultan Hakim. Cette période marque un tournant dans l'histoire de la chrétienté.
L'invitation à la purification
Selon l'Église catholique, derrière ces faits, le démon, Satan, est bien entendu constamment présent. Dieu, tout puissant, laisse agir librement le mal pour punir ceux qui l'outragent, mais aussi pour prévenir les hommes, pour les inviter avant qu'il ne soit trop tard à reconnaître leurs péchés et à faire pénitence. Le millénaire, qui provoque l'anxiété devant une fin possible du monde, est l'occasion d'une prise de conscience sur la vanité d'un monde condamné tôt ou tard à disparaître ; il invite à se purifier. D'où le développement de l'antisémitisme, les premiers pogroms (il faut « séparer le bon grain de l'ivraie ») ; d'où les peines ecclésiastiques comme l'excommunication et les bûchers. On se purifie aussi par l'aumône, les donations pieuses. On fait pénitence par l'ascèse, le pèlerinage, la « conversion », c'est à dire la profession de foi monastique, voie royale vers le salut. Mais la purification n'est plus seulement individuelle. Elle devient collective avec le développement des mouvements de paix : la paix de Dieu protège certains lieux, certaines catégories de personnes des méfaits (en particulier des méfaits provoqués par les hommes de guerre) ; la trêve de Dieu oblige à suspendre la violence, à respecter la paix du Seigneur ; elle est la forme d'ascèse imposée à la chevalerie.
La renaissance de la chrétienté
Le millénaire est donc l'occasion d'un combat contre le mal. Un nouvel ordre du monde est né. Le moine Raoul Glaber évoque très bien cette renaissance de la chrétienté dont le signe visible est la construction de milliers d'églises : « C'était, dit-il, comme si le monde lui-même se fût secoué, et, dépouillant sa vétusté, eût revêtu de toutes parts une blanche robe d'églises. » Ce que, de nos jours, Georges Duby a exprimé de la manière suivante : l'an 1000 voit « le passage d'une religion rituelle et liturgique à une religion d'action », celle des grands pèlerinages, de la réforme grégorienne et des croisades.
En 1000, le calendrier qui définit les années en chrétienté est récent. Mis au point vers 530 par le moine Denis le Petit (qui se trompa en calculant la date de la naissance du Christ, qu'il fixa au 25 décembre de l'An I), il ne fut adopté par l'Église romaine que très lentement, à la fin du VIIIe siècle en Gaule et par la papauté seulement au Xe siècle. En l'an 1000, seule une minorité de clercs avait connaissance et conscience de cette date. Les rares passages de l'Histoire de France du principal témoin, le moine clunisien Raoul Glaber, qui relatent l'atmosphère de l'époque, ont été déformés par les romantiques pour y trouver les prétendues terreurs de l'an 1000, des terreurs, en fait, plus nettes en 1030-1033, millénaire de la mort du Christ et années marquées par le mal des ardents et une grande famine. Ce qui est le plus avéré, selon ce chroniqueur, c'est au contraire l'essor économique et spirituel de la chrétienté (construction d'un « blanc manteau d'églises »), signe de confiance et de dynamisme.
tiré de Jacques Le Goff
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